À l'occasion de la Journée mondiale de l'endométriose le 28 mars 2024, l'ARS Île-de-France a organisé un webinaire à destination des professionnels de santé. Cette réunion a regroupé des professionnels de terrain, médecins généralistes, chirurgiens, professeurs, psychologues, etc., ainsi que des médecins experts pour l'assurance maladie, des représentants de l'Agence Régionale de Santé, des associations de patientes et des référents CPTS. La réunion est disponible pour visionnage sur Youtube.
L'enjeu de cette réunion était de présenter les différentes filières dédiées à l'endométriose qui ont été mises en place sur le territoire francilien il y a deux ans. À cet égard, comment diagnostiquer et orienter les patientes dans le système de soin ? est la question à laquelle les organisateurs promettent de répondre.
L'information tombe dès les premières minutes de visionnage : entre 300 000 et 600 000 femmes sont touchées par l'endométriose en Île-de-France, soit au minimum 1 femme sur 10 en âge de procréer.
Au cours de cette réunion, les médecins et professeurs ont été sollicités en tant qu'experts des conditions permettant aux femmes de recevoir une compensation financière suite à un diagnostic d'endométriose. Je remarque que, face à ces chiffres statistiques, c'est la question de la reconnaissance financière qui est mise au devant de la discussion.
Comment bénéficier de l'ALD par le biais de la reconnaissance de la pathologie ? Ou par le biais de la reconnaissance de l'infertilité ? Comment le médecin peut-il accompagner les patientes à remplir les dossiers de demandes MDPH, RQTH, etc... Reconnaître financièrement une maladie est-ce soigner ? Que faire face à la souffrance d'1 femme sur 10 en Île-de-France ? Pourquoi le discours clinique est-il absent de cette réunion ?
Dans ces filières endométrioses mises en place par l'ARS, l'orientation vers un psychothérapeute ou un psychanalyste n'est pas prévue et c'est à ce moment-là - vers la fin de la réunion - que je décide d'écrire un message dans le fil de discussion afin de questionner les partenariats possibles entre médecins, psychothérapeutes et psychanalystes. Ce message fut accueilli par le rire d’une organisatrice et le modérateur de reprendre « C’est un commentaire. Je vous propose de conclure (…) bon courage à tous, au revoir ! ».
Après discussion avec mon superviseur, le Dr de Amorim, il m’a proposé d’écrire cet article afin de partager mon avis. Le voici :
Cette réunion m'est longtemps restée à l’esprit. Parler de soin et se concentrer sur la manière dont les soins peuvent être gratuits pour l’individu et coûteux pour la société m’a paru incompréhensible au regard de l'information qui est pourtant transmise dès le début de la réunion :
Entre 300 000 et 600 000 femmes sont touchées par l'endométriose en Île-de-France, soit au minimum 1 femme sur 10 en âge de procréer.
Devant l'énigme que constitue cette maladie, ce discours m'a semblé être une manière de détourner le regard face à la souffrance organique, corporelle et psychique des patientes « Bon courage à tous, au revoir ! ».
Dans la continuité du modèle juridique de la reconnaissance du statut de victime [1], les pouvoirs publics proposent un certain discours du préjudice de la maladie qui transmet aux femmes que la maladie est un tort qui leur est causé à elles-mêmes et qu'elles sont en droit de demander réparation. Dans cette perspective, un système est organisé afin de compenser financièrement les torts que causerait une maladie à un bénéficiaire. De « l'endo sévères » à « l'endo complexes »[2], c’est le niveau de douleur qui déterminera la qualité du remboursement des soins et la hauteur de la prestation financière. En suivant la logique de ce discours, il vaut mieux ainsi souffrir plus pour gagner plus.
Dans cette course à la compensation financière, c'est la société toute entière qui se porte responsable de la maladie de l’être, le motivant à détourner le regard ailleurs qu'en soi-même et ainsi de constituer sa vie, son corps, ses organes, comme monnaie d'échange. Immuable dans sa forme discursive, aucune remarque ni aucun questionnement ne peut ébranler ce précepte originel : La société doit de l'argent aux femmes malades d'endométriose.
Alors, je pose les questions : les patientes qui souffrent d'endométriose sont-elles victimes d'un préjudice ? L’endométriose est-elle un préjudice ? Ma réponse : Non. Par-delà le préjudice, le Dr de Amorim propose d'aborder la maladie comme un appel[3]. Le déclenchement d’une maladie n’est pas anodin pour un être et appartient à son histoire : pouvoir lui proposer d’en dire quelque chose en rencontrant un psychanalyste relève d'un geste d’humanité face à ce discours du préjudice. Pourquoi ? Pour ne pas faire de cette maladie les limites de la vie de l'être. Alors que la reconnaissance financière vise à boucher la voie par laquelle l'être pourrait se questionner sur sa vie, sa souffrance et ses désirs, la psychanalyse l'invite à en dire davantage malgré la maladie, à construire sa subjectivité, voir même à exister.
S’il est bien pour les institutions sanitaires, l'assurance maladie et l'ARS que chaque individu puisse recevoir une compensation financière suite au déclenchement d’une maladie, est-il bon pour les patients d’accepter cette position ? Les médecins de cautionner cette déviance vers l’absence de soin concret ? Les psychistes de se taire face à la jouissance dont ils sont les témoins ?
Le soin ne peut pas être gratuit, c'est une réalité clinique. Pour quelle raison les séances de psychothérapie ou de psychanalyse ne sont-elles pas gratuites ou remboursées par la sécurité sociale ? Parce que payer pour son soin c'est s'organiser pour se réveiller le matin, aller au travail, entrer dans la vie en gagnant son argent et goûter au plaisir de n'être redevable d'aucune maladie, d'aucun symptôme et d'aucune condition.
C'est la visée du dispositif de la CPP (Consultation publique de psychanalyse) créé par le Dr de Amorim qui propose, certes, aux patients et aux psychanalysants de payer leurs séances selon leurs moyens financiers, mais de payer tout de même.
Payer ses séances - que ce soit 5 euros ou 50 euros - c'est apprendre à devenir responsable de sa parole, de son corps et de sa vie, construire son existence et sa dignité. Perspective précieuse pour les femmes, je peux en témoigner.
Sur les conseils du Dr de Amorim, je me tiens disponible pour les cliniciens souhaitant davantage en discuter, organiser un groupe de travail et une présentation clinique.
En attendant, une Journée d'Étude concernant la maladie & le malade est organisée par le RPH-École de Psychanalyse dans le but d'ouvrir le dialogue entre chirurgiens et psychanalystes. Elle aura lieu le 25 mai 2024.
Sabrina Merabet, le 12 avril 2024.
[1] R. Rechtman, D. Fassin, (2007) L’empire du traumatisme : enquête sur la condition de victime, Champs, essais, Paris, 2016.
[2] Les différentes « filières endométriose » couvrent l'intégralité du territoire francilien et leur organisation est déterminée par la sévérité des douleurs : pour les « endos sévères », c’est par là, pour les « endos complexes », c’est par ici. Ces termes utilisés par les professionnels de santé présent à la réunion ARS visent à nommer les patientes et les catégoriser selon leur maladie.
[3]Fernando de Amorim. Proposition d’une Cartographie de la clinique avec le malade, le patient et le psychanalysant, à l’usage des médecins, psychistes et psychanalystes, en institution et en ville, 2011. https://www.rphweb.fr/details-proposition+d+une+cartographie+de+la+clinique+avec+le+malade+le+patient+et+le+psychanalysant+a+l+usage+des+medecins+psychistes+et+psychanalystes+en+institution+et+en+ville-140.html
Copyright © 2021 Sabrina Merabet Psychothérapeute