(...)
Au-delà de cette personne qui était clairement en train de décompenser devant mes yeux, c’était toute la situation qui était folle. Cette folie je la localise à l’endroit des symptômes déferlant de cette dame certes, mais permis par des conditions cliniques et institutionnelle qui pousse à la folie. Toute réflexion éthique était absente et je ne peux pas nier que j’étais dans une situation où tout était organisé pour que cela contribue à une difficulté voir même à un passage à l’acte. Avec l’enseignement que je reçois au RPH et particulièrement l’enseignement du Dr de Amorim, j’ai appris depuis lors que l’éthique de la psychanalyse propose que la folie ne soit pas un passage obligé pour la psychose. Comment l’éthique de la psychanalyse permet à la psychose de sortir de la folie ? C’est à partir de cas clinique que je discuterai de cette question.
(...)
La psychose pose à la psychanalyse une question éthique : Comment le psychanalysant psychotique peut-il découvrir un savoir nouveau sur lui-même sans tomber dans la folie ? C’est découvrir le désir de l’être par-delà ses symptômes : pour cela, il s’agit d’accéder à un savoir sur la jouissance sans culpabiliser l’être déjà en prise avec ses organisations intramoïques. C’est le docteur de Amorim qui a conceptualisé l’effet des organisations intramoïques sur le moi en distinction de l’effet du grand Autre barré sur l’être[1]. L’intervention du clinicien vise à nourrir la castration, la voie du grand Autre barré et non pas les organisations intramoïques, le grand Autre non barré, voie de la jouissance, de la tyrannie, de la culpabilité. C’est une position délicate qui suppose une dextérité et un travail d’orfèvre. Cela nécessite que le clinicien soit lui-même en psychanalyse afin d’apprendre à entendre cette différence entre le discours du moi et le discours du grand Autre barré. Les organisations intramoïques peuvent prendre la forme du masochisme moral[2], comme d’injonctions qui chargent le moi, et peuvent mener à un passage à l’acte visant à faire disparaitre le moi de la scène psychique. Cette avancée technique est considérable puisqu’elle empêche l’être de passer à l’acte et de se suicider. Cette pression venant des organisations intramoïques se distingue de la parole vraie qui concerne l’être, qui le fait avancer sans le culpabiliser. C’est en cela que l’éthique de la psychanalyse, l’éthique du désir, se distingue de la morale[3].
Dans la Nef des fous[4] de Sébastien Brant, la folie interpelle la morale religieuse en s’incarnant dans le vice. Cet ouvrage du XVIème siècle nous rappelle que la folie a souvent été la représentation de l’immoral conduisant ainsi simultanément à la production d’un discours sur la morale[5] : le fou étant le miroir des vices cachés de chacun, il était exclu de la société voir même, selon un mythe flamand, embarqué sur des paquebots dont la destinée était celle de se perdre dans les flots. C’est une partie de l’Histoire de la folie de notre civilisation humaine. Aujourd’hui avec la psychanalyse freudo-lacanienne, l’Histoire de la folie s’achève pour laisser place à l’Histoire du désir de l’être.
Selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie, l’éthique est « une science ayant pour objet le jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du bien et du mal »[6]. En posant à l’être psychotique la question de sa souffrance, la psychanalyse introduit la dimension éthique pour cet être, dans le sens de la distinction du bien et du mal pour lui-même. L’éthique de la psychanalyse permet de faire une distinction nette entre folie et psychose afin que l’être puisse construire sa subjectivité et devenir sujet. L’être psychotique n’est pas obligé d’être fou si son désir est au rendez-vous. Cette éthique de la psychanalyse suppose le désir de l’être quel qu’il soit, sans discrimination de structure et de culture.
[1] Ces positions peuvent être repérées dans le schéma freudo-lacanien de l’appareil psychique proposé par Fernando de Amorim.
[2] Amorim (de) F. « De la différence entre la résistance du Surmoi et le masochisme moral freudien », Brèves 2020/2021, Paris, RPH, 2023.
[3] Lacan J. Le séminaire VII. L’éthique de la psychanalyse. 1959-1960, Paris, Seuil, 1986.
[4] Brant S. La Nef des fous, Paris, Corti, 2004.
[5] Foucault M. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1976.
[6] Lalande A. Vocabulaire technique et critique de la philosophie. « Éthique », Paris, PUF, 2010 p. 305.
Copyright © 2021 Sabrina Merabet Psychothérapeute