Sabrina Merabet, membre du RPH-École de psychanalyse, 4 Cité Joly, 75011 Paris, 06.52.76.94.73, s.h.merabet@gmail.com
Résumé : Appuyée sur des situations cliniques, l’auteur propose de s’intéresser à certaines maltraitances dont la société est complice et qu’elle nourrit sous la forme d’injonction. En analysant la notion de Kultur et ses différents usages dans l’œuvre freudienne, l’auteur met en valeur la pertinence de la notion de résistance du surmoi, repéré par Sigmund Freud et conceptualisé par Fernando de Amorim, afin de dévoiler l’agissement des organisations intramoïques dans la culture.
Mots-clés : résistance du surmoi - organisation intramoïques - répression – kultur - culture.
extrait d'article :
Le mot « culture » est présent dans les séances de psychanalyse. Dans le discours des psychanalysants, il apparait selon les usages : quelques fois pour nommer une identité nationale, une religion, d’autre fois pour constater les effets de la civilisation. Freud a aussi fait usage de ce mot qui constitue une véritable notion dans son œuvre. D’ailleurs, il fait moins usage du mot Zivilisation en allemand que celui de Kultur : dans Gesammelte Werke, Freud fait référence 300 fois au mot Kultur ou à un de ses dérivés : il apparait dans 51 textes publiés, depuis La sexualité dans l’étiologie des névroses en 1898 à Moïse et le monothéïsme en 1939. En revanche, le mot zivilization n’apparait que 11 fois dans les Gesammelte Werke. Cette différence est notable et contraint le lecteur de l’œuvre à être attentif à l’usage du mot Kultur et de sa traduction en Civilisation. Nous rappelons que l’usage du mot Civilisation en français ou en anglais ne porte pas la même signification que le mot Kultur en allemand. Si Freud nous indique dans Malaise dans la culture « dédaign[er] séparer la culture et la civilisation » les usages de ces mots en français ne sont pas les mêmes qu’en allemand. La notion de Kultur vise son concept allemand qui désigne des faits intellectuels, artistiques, religieux et les distingue des faits politiques économiques et sociaux. C’est le dérivée Kultiviert qui se rapproche davantage du mot français civilisé : Kultiviert vise la conduite humaine, un certain type de comportement civilisé. Civilisation en français ou en anglais insiste davantage sur un état moral et social, depuis la société en tant que structure vers des individus non différencié. Kultur s’incarne davantage dans l’individu, en tant qu’il est représentant éthique de la morale de la société.
Il y a deux aspects du mot Kultur dans l’œuvre freudienne. D’une part, l’aspect social de ce mot vise la vie en communauté. Cet aspect est défini par Freud d’abord dans Avenir d’une illusion :
La culture humaine – j’entends tout ce par quoi la vie humaine s’est élevée au-dessus des conditions animales et par où elle diffère de la vie des bêtes, et je dédaigne de séparer la culture et civilisation – présente, comme on le sait, deux faces à l’observateur. Elle englobe, d’une part, tout le savoir et tout le savoir-faire que les hommes ont acquis afin de dominer les forces de la nature et de gagner sur elle des biens pour la satisfaction des besoins humains, et d’autre part tous les dispositifs qui sont nécessaires pour régler les relations des hommes entre eux et en particulier la répartition des biens accessibles.[1]
Puis dans Malaise dans la Civilisation, il précise la première définition :
(…) le terme de « civilisation » désigne toute la somme des réalisations et des institutions par lesquelles notre vie s’écarte de celle de nos ancêtres animaux, et qui servent deux buts : protéger l’homme contre la nature et réguler ses rapports avec ses semblables.[2]
Pourtant, et nous en sommes témoin aujourd’hui dans la société et dans la clinique, la culture est le mot qui justifie des actes qui vont à l’encontre même de la Loi. Cet aspect de la culture constitue un autre axe de l’œuvre freudienne. C’est dans La morale sexuelle civilisée que Freud repère une pression imposée par la Kultur sur la pulsion sexuelle et qui est à l’origine des symptômes névrotiques. Il développe davantage cet aspect répressif de la Kultur dans Considérations actuelles sur la guerre et la mort. C’est dans ce texte qu’il théorise une distinction franche entre le renoncement pulsionnelle que la vie en communauté nécessite et la répression pulsionnelle obligé par une certaine forme de sévérité de la culture. Cette notion de renoncement peut davantage s’apparenter au concept de castration symbolique, l’introduction de la Loi qui régit le bien-vivre ensemble dans une société. Il distingue cette notion de la répression pulsionnelle qui occasionne les affections pathologiques :
Diesen ist nun eine fortgesetzte Triebunterdrückung auferlegt, deren Spannung sich in den merkwürdigsten Reaktions- und Kompensationserscheinungen kundgibt. Auf dem Gebiete der Sexualität, wo solche Unterdrückung am wenigsten durchzuführen ist, kommt es so zu den Reaktionserscheinungen der neurotischen Erkrankungen.[3]
Unterdrückung et Triebunterdrückung signifient répression et répression de la pulsion. Freud met cette répression au cœur des affections névrotiques, étant ainsi une réaction et une compensation face aux exigences morales imposées à la pulsion. Dans cette perspective-là, l’individu peut obéir à des normes « sans suivre [sa] nature »[4].
Ainsi, Freud attire l’attention sur le fait que la société n’oblige pas seulement l’individu à renoncer à une part de sa satisfaction pulsionnelle, elle peut aussi intervenir comme une totalité en dehors de l’individu qui vient faire pression sur la constitution pulsionnelle « cela conduit ainsi aux manifestations réactionnelles des affections névrotiques »[5]. Si ces manifestations ne sont pas pathologiques elles peuvent tout de même déformer le « caractère ». Il continue « Celui qui est ainsi obligé de réagir constamment dans le sens de prescriptions qui ne sont pas l’expression de ses penchants pulsionnels, vit, psychologiquement parlant, au-dessus de ses moyens et mérite objectivement d’être qualifié d’hypocrite, qu’il ait ou non pris clairement conscience de cette différence. »[6].
Cette notion de répression culturelle de la pulsion est précisé en 1925 dans Das ökonomische Problem des Masochismus, Le problème économique économique du masochisme, sous le nom de kulturellen Triebunterdrückung.« Die Rückwendung des Sadismus gegen die eigene Person ereignet sich regelmäßig bei der kulturellen Triebunterdrückung »[7]. Intégré dans la dynamique pulsionnelle propre au masochisme et au sadisme, il pose la Kultur comme force de répression pulsionnelle du sadisme, qui se retourne ainsi contre la personne propre, en masochisme.
Dans le cas de l’agressivité retournée contre la personne propre, Freud nous indique en 1930 qu’elle est alors « déférée au Surmoi » et « se mue en sentiment de culpabilité »[8].
À partir de cette lecture freudienne d’une fonction répressive de la culture dans la dynamique pulsionnelle et dans l’étiologie de la névrose, nous pouvons constater qu’il n’y a là qu’un pas avant de joindre la théorisation amorimienne des organisations intramoïques et plus précisément de la résistance du surmoi.
Rappelons-le, Freud théorise dans Inhibition, Symptôme et Angoisse la cinquième résistance, la résistance du Surmoi : « C’est la plus obscure, mais non pas toujours la plus faible ; elle semble prendre racine dans le sentiment de culpabilité ou le besoin de punition s’opposant à tout succès, et par conséquent aussi à la guérison par l’analyse. »[9]
Le docteur de Amorim, psychanalyste et président du RPH-École de psychanalyse, a repéré et théorisé le rôle des organisations intramoïques dans la formation du symptôme. Cette dynamique de la culture qui pousse à l’agissement de la violence et nourrit les organisations intramoïque est-elle propre aux pays non-occidentaux ? Est-il juste de nous draper de l’auréole de la civilisation et de nous fourvoyer de la barbarie ?
L’expression « race ignoble » du docteur de Amorim révèle justement cette racine haineuse qui constitue la condition humaine, sans distinction de culture ni de couleur de peau. L’agissement et le nourrissage de ces organisations intramoïques ne se limitent non plus à la relation entre le parent majeur et son enfant, ils concernent l’humain en tant qu’il est constitué. Freud nous rappelle que les « impulsions primitives, sauvages ou mauvaises de l'humanité n'ont disparu chez aucun individu, (…) elles continuent, au contraire, à exister, quoique refoulées dans l’inconscient »[10].
[1] Freud, S. (1927). « Avenir d’une illusion », in Œuvres Complètes, Vol XVIII, Paris, PUF, 1994, p.147.
[2] Freud, S. (1930). Malaise dans la civilisation, Paris, Payot & Rivages, 2010, p.83.
[3] Freud, S. (1915). « Zeitgemäßes über Krieg und Tod » in Gesammelte Werke. Starferla. http://staferla.free.fr/Freud/FREUD%20Gesammelte%20Werke.pdf, p. 1203.
[4] Freud, S. (1915). « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort ». in Essais de psychanalyse, Paris, Payot&Rivages, 2001, p.23.
[5] Ibid., p.23.
[6] Ibid., p.24.
[7] Freud, S. (1915). « Zeitgemäßes über Krieg und Tod » in Gesammelte Werke. Starferla. http://staferla.free.fr/Freud/FREUD%20Gesammelte%20Werke.pdf, p.841.
[8] Freud, S. (1930). Malaise dans la civilisation, Paris, Payot & Rivages, 2010, p.326.
[9] Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, Presses Universitaire Françaises, 1978, p. 89.
[10] Freud, S. (1914). « Lettre à F. van Eeden », in Œuvres complètes, Paris, PUF, Vol. XIII, 2021, p.124.
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